
C'est quoi Les Troubles du Comportement Alimentaire ?
Une Relation Complexe avec la Nourriture et le Corps
Quand le Corps et le Désir se Nouent
On décrit souvent ces troubles comme des addictions sans drogue, des manifestations singulières de nos sociétés post-industrielles, où la surabondance alimentaire contraste avec une certaine "famine du désir" : je veux rien, je n'aime rien, je comprendre rien, je ne rien savoir... Contrairement aux sociétés traditionnelles, les anorexies et boulimies se posent comme des symptômes ethnopsychiatriques, révélant les impasses d'une culture où le sujet peine à se situer face à la jouissance et à l'Autre.
Manger, bien au-delà d'un acte physiologique, est une pratique complexe, tissée de dimensions symboliques et hédoniques, où le corps se fait scène de nos conflits.
L'anorexie et la boulimie forment un couple paradoxal. Bien que semblant opposées dans leurs manifestations – l'anorexique dans une maîtrise acharnée de son appétit, de ses envies et de ses affects, là où la boulimique s'abandonne à la compulsion –, elles partagent une même passion pour le signifiant de nourriture. Cette passion, souvent refoulée chez l'anorexique, prend une forme d'obsession, tandis que la boulimique rêve de cette maîtrise anorexique. L'une est le miroir inversé de l'autre, chacune redoutant de devenir ce qu'elle projette sur l'autre, prises dans une dialectique où le désir et l'interdit se jouent de façon inversée. L'une avec le Rien et l'Autre avec le trop.
Pour l'anorexique, le paradoxe est saisissant : plus elle s'efface, plus elle cherche à être vue. Elle se livre à une tentative de maîtrise du corps, une négation de l'oralité qui la ferait dépendre de l'Autre. Cette transparence devient un moyen d'interpeller le regard. Sa relation aux autres est contradictoire : elle exhibe un "moi héroïque" de maîtrise et de performance aux yeux du monde extérieur, tout en réservant les aspects les plus fragiles, voire dépressifs, à son entourage proche, en particulier à la mère (#Hearststopper).
Dans une perspective lacanienne, l'anorexique est souvent un "mangeur de rien". Ce "rien" qu'elle ingère ne relève pas de l'aliment, mais de l'objet a, cet objet cause du désir. Ici, ce "rien" vient soutenir le désir de la mère. Très tôt, l'enfant repère les modalités de relation avec l'Autre (la mère). Si la mère est présente quand il a faim et le nourrit, alors le refus de manger peut devenir une stratégie inconsciente pour prolonger sa présence : "Si je ne mange rien, cela dure plus longtemps, elle est plus longtemps avec moi." Ce que la mère désire que l'enfant mange, l'enfant le refuse pour maintenir le lien, pour rester l'objet du désir de la mère.
Anorexie, l'Obésité et Dépression Masquée :
La Partie Immergée de l'Iceberg
Il est crucial de noter qu'en particulier à l'adolescence, l'anorexie peut parfois être le symptôme visible d'une dépression masquée. Toutes les formes de dépression ne sont pas bruyantes ou clairement manifestes ; certaines problématiques peuvent être la partie émergée de l'iceberg, cachant une souffrance psychique plus profonde. Traiter uniquement l'anorexie, sans explorer ce qui se joue en dessous, reviendrait à ignorer la partie immergée du mal-être. Une écoute attentive permet de déceler cette souffrance sous-jacente qui, si elle n'est pas adressée, risque de perdurer.


La mère apparaît souvent comme l'interlocutrice privilégiée, voire la première spectatrice du développement de ces troubles. Elle est celle qui, dans un premier temps, peut rester dans le déni de la pathologie. Les rôles parentaux se clivent souvent de façon spectaculaire : un parent "bon" et l'autre "mauvais", l'anorexique attribuant souvent les plaintes et les aspects déplaisants à la mère, et les gratifications au père. Les échanges avec les parents sont souvent marqués par la contrainte et des dynamiques sado-masochistes, notamment lorsque l'alimentation devient un enjeu de pouvoir, une lutte où le plaisir partagé est absent.
Dans Hearststopper, on voit bien le déni parental, c'est donc un trouble fréquent, enraciné dans la difficulté à reconnaître une part de l'enfant qui échappe à leur connaissance, qui ne correspond pas à l'image idéalisée de la "petite fille/garçon modèle". Ce qui est en jeu ici, c'est l'Autre (les parents, la famille) qui ne parvient pas à symboliser ce qui se passe chez le sujet, laissant le symptôme prendre corps.
La guérison est d'autant plus complexe que le sujet tend à s'identifier au symptôme. Le trouble, au lieu d'être un signal de détresse, devient un point d'ancrage identitaire.
L'anorexie, par exemple, peut conférer une fascination aux yeux de l'Autre, au point que la question inconsciente devienne : "Si je ne suis pas cela (anorexique, obsédée par la nourriture), qui suis-je ? Que deviens-je ?"
C'est une question de l'être, où le symptôme vient tenir lieu de réponse provisoire à un manque radical, une tentative de construire une consistance identitaire là où le signifiant vient à manquer, pour dire qui l'on est.
La tâche de la cure sera alors de décoller le sujet de cette identification aliénante au symptôme, afin qu'il puisse se risquer à une autre inscription de son désir.