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Le Paracosme comme Espace Transitionnel Prolongé : Une Tentative de Suturer le Manque Face aux Traumatismes Précoces

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    pmartinpsy
  • 14 mai
  • 9 min de lecture


Introduction :


Le paracosme ou pour les cognitivistes les rêveries compulsives, désignant un monde imaginaire élaboré avec une géographie, une histoire et des habitants propres, souvent développé durant l'enfance, constitue un phénomène clinique d'un grand intérêt pour la compréhension des mécanismes psychiques à l'œuvre face à des expériences développementales complexes. Cette construction imaginaire peut être envisagée comme une tentative de donner forme et de maîtriser des affects et des vécus qui n'ont pu être pleinement intégrés et symbolisés au sein du champ intersubjectif. Cet article se propose d'explorer, à travers une vignette clinique, la genèse, la fonction et les implications psychodynamiques en lien avec une histoire marquée par des traumatismes relationnels précoces, en s'appuyant sur le cadre théorique de la psychanalyse lacanienne.


Vignette Clinique :


Attention
Il est crucial d'aborder la lecture de cette vignette clinique avec prudence et discernement. Elle offre un éclairage singulier sur une dynamique psychique spécifique et peut s'avérer un outil heuristique précieux pour décrypter d'autres situations cliniques. Cependant, de par son caractère unique et contextuel, elle ne saurait être érigée en modèle universel. La complexité de la psyché humaine et la singularité de chaque trajectoire subjective impliquent qu'il existe potentiellement une infinité de contre-exemples. Cette vignette invite à la réflexion et à l'ouverture clinique, mais ne saurait en aucun cas se substituer à une analyse approfondie et individualisée de chaque situation rencontrée. D’ailleurs ici, il s’agit en réalité de deux vignettes rassemblées en une. Consentement éclairé accordé.


Monsieur X. (qui pourrait être Sartre dans "les mots") rapporte un symptôme singulier : l'existence d'un paracosme. Rétrospectivement, il apparaît que durant son enfance, l'investissement ludique dans des jeux de figurines, notamment avec le personnage de Batman, a servi d'exutoire à une tension agressive et destructrice ressentie au sein de sa dynamique familiale. Cette activité ludique semble avoir permis un déplacement des affects bruts, tels que la haine et les pulsions agressives, vers un espace imaginaire où ils pouvaient être mis en scène et potentiellement maîtrisés, évoquant une première forme d'espace transitionnel au sens winnicottien.

Cependant, une intervention dévalorisante de son beau-père, survenant durant l'adolescence et portant sur la persistance de son intérêt pour les jouets, a marqué une rupture dans cette fonction potentiellement thérapeutique du jeu. Cet événement, possiblement vécu comme une blessure narcissique venant ébranler une image de soi en construction (en lien avec le stade du miroir), a entraîné un repli de cet espace vers une dimension intrapsychique. Il s'est alors constitué comme un monde intérieur secret, soustrait au jugement externe, mais engendrant possiblement un certain isolement psychique et entravant la pleine intériorisation des identifications.


Attention ce qu’il faut noter ici, c’est que le sujet a pleinement conscience du coté imaginaire de sa production. C’est là un détail non négligeable si vous avez un adolescent qui s’enferme et qui commence à avoir du mal à faire la distinction entre l’imaginaire et le réel comme dans le film « Sucker Punch » de Zack Snyder, se révèle intéressante dans sa manière d'extérioriser les traumatismes à travers non pas un, mais deux niveaux d'évasion imaginative. À l'instar de Babydoll, l'héroïne du film qui face à une réalité insoutenable se réfugie dans des constructions oniriques où elle tente de reprendre le contrôle. Dans Sucker Punch, la brutalité d'un asile psychiatrique et la menace imminente d'une lobotomie propulsent Babydoll dans un univers de club burlesque et de quête d'évasion, puis plus loin encore, dans des séquences d'action stylisées évoquant un jeu vidéo. Ces strates d'imaginaire, bien que distinctes, sont toutes deux des tentatives de faire face à une réalité aliénante. De manière analogue, le paracosme que nous allons exploré chez Monsieur X. apparaît comme une réponse à des traumatismes relationnels précoces et à un défaut de symbolisation dans le champ intersubjectif. Ce monde intérieur, à l'image des réalités alternatives de Babydoll, peut être vu comme un espace transitionnel prolongé, une tentative de « chiffrage » et de maîtrise d'expériences non intégrées.

Monsieur X. décrit ce monde imaginaire comme un réceptacle d'énigmes à déchiffrer concernant des fragments de son histoire de vie qui n'ont pas trouvé de pleine symbolisation dans l'ordre de l'Autre. Des expériences d'impuissance, de privation et de souffrance y sont transformées en scénarios plus ou moins fantastiques, à la Solo leveling ( romans web sud-coréens écrite par Chugong et publiée en ligne sur KakaoPage[1] avant d'être éditée par D&C Media sous sa marque de publication Papyrus[2]. La série est composée de 270 chapitres répartis en 14 volumes.), il a d’ailleurs été très surpris nous dira-t-il en découvrant cette œuvre très proche de ce qu’il rêvait. Pour ceux qui n'ont pas la référence, cela met en scène un protagoniste, Jinwoo, confronté à un Réel menaçant (les monstres et les donjons). Sa faiblesse initiale le place dans une position de manque radical. L'acquisition de son "système" et sa progression exponentielle peuvent être interprétées comme une tentative imaginaire de combler ce manque et d'atteindre une forme de toute-puissance fantasmatique, un effort pour suturer l'objet a insaisissable.

L'univers des Chasseurs et des rangs constitue un ordre Symbolique strict, une structure de reconnaissance et de pouvoir. L'ascension de Jinwoo perturbe cet ordre, le plaçant progressivement au-delà des lois établies, presque dans une position hors-la-loi symbolique, un « Maître des morts » qui défie les catégories préexistantes.

Sa relation avec les autres personnages, notamment son désir pour Cha Hae-in, peut être vue à travers le prisme de la quête de l'objet perdu. Ses combats épiques représentent des mises en scène imaginaires de sa lutte contre le Réel et sa tentative de maîtriser l'angoisse liée à sa vulnérabilité originelle.

La confrontation finale avec une divinité tyrannique pourrait symboliser l'ultime tentative de dépasser les limites imposées par l'Autre symbolique et le Réel lui-même, une quête de reconnaissance absolue et de maîtrise du manque. Cependant, même cette puissance acquise reste inscrite dans un certain ordre symbolique (celui du récit), soulignant la tension constante entre l'Imaginaire de la toute-puissance et les limites du Symbolique et du Réel.

 

La remarque que c’est très commun la d’ailleurs plongé dans un premier temps dans une perplexité puis il s’est de lui-même rendu compte que nous partagions un langage commun, avec un petit côté universel. Les scénarios suggérant une tentative de leur donner un sens



(aux traumatismes) et de les intégrer psychiquement, faute d'un discours de l'Autre suffisamment soutenant pour les appréhender. Il perçoit cependant ce processus de « chiffrage » comme un voile recouvrant une part de son vécu émotionnel authentique, un réel traumatique qui peine à s'inscrire dans le discours.

Un lien significatif est établi par Monsieur X. avec son fantasme fondamental. La récurrence de thèmes de puissance, d'immortalité et d'exploration illimitée au sein de son paracosme pourrait traduire un désir inconscient de surmonter l'impuissance infantile et la précipitation vers une autonomie vécue comme prématurée, évoquant une tentative imaginaire de pallier un manque fondamental, un objet a insaisissable.


L'identification à une figure phallique, puissante et immortelle, est interprétée par Monsieur X. comme l'expression d'un besoin fondamental de temps pour appréhender le Réel, entendu ici comme l'Autre symbolique et le monde extérieur. Ce temps, perçu comme ayant été refusé par une mère ayant exigé une autonomie précoce et par un beau-père ayant dénigré son besoin d'un espace ludique de maturation, apparaît comme crucial pour la symbolisation et l'intégration progressive de ses expériences relationnelles. L'intrusion dévalorisante du beau-père peut être vue comme un échec de la fonction paternelle symbolique, n'offrant pas un cadre soutenant la séparation et l'accès au monde.

Monsieur X. exprime un sentiment de fixation lié à un désir persistant de prolonger la relation avec sa mère infantile. La séparation, vécue comme imposée trop tôt et sans tenir compte de son rythme psychique, aurait généré une haine refoulée, nécessaire au maintien d'une image maternelle idéalisée et protectrice, figure de dépendance vitale.


Discussion et Analyse Lacanienne :


Le cas de Monsieur X. illustre de manière éloquente la complexité des mécanismes psychiques mis en œuvre face à des traumatismes relationnels précoces. Son paracosme peut être envisagé comme une formation de l'inconscient, un espace transitionnel internalisé et prolongé, palliant un défaut de soutien de l'Autre symbolique dans les premières étapes de son développement. L'interruption abrupte de son jeu enfantin, espace privilégié de symbolisation pour l'enfant, a entravé un processus psychique fondamental, entraînant un repli vers un monde intérieur comme tentative de traitement psychique face à un réel traumatique non symbolisé.

Cela apparaît comme une tentative de donner une forme imaginaire à des éléments du Réel, ces noyaux traumatiques qui résistent à la pleine symbolisation dans l'ordre symbolique. Le défaut d'un Autre symbolique soutenant et reconnaissant son besoin de temps et d'espace pour l'intégration de ses expériences a pu favoriser le développement de cette solution alternative. Les thèmes de puissance et d'immortalité au sein de son monde imaginaire peuvent être interprétés comme des tentatives imaginaires de suturer un manque fondamental, de se protéger de l'angoisse liée à la castration et à la dépendance originelle, en lien avec la quête illusoire d'un objet a perdu.



L'importance du temps psychique (Il ne s'agit pas du temps chronologique, mais du temps nécessaire à l'individu pour intégrer ses expériences, les comprendre et construire son propre sens du « moi ». C'est le temps qu'il faut pour digérer émotionnellement les événements.) dans la subjectivation est ici cruciale. La précipitation vers une autonomie non désirée et le déni de ses besoins infantiles ont entravé la construction d'un rapport sain à l'Autre et au Réel. L'humiliation du beau-père a pu réactiver des failles narcissiques et perturber le processus d'identification, renforçant le recours à un monde interne maîtrisé. La haine refoulée, mécanisme de défense nécessaire au maintien d'une image maternelle idéalisée, continue d'influencer inconsciemment ses relations et son rapport à l'altérité, témoignant d'une intrication complexe entre les registres Imaginaire et Symbolique.


Le paracosme, en tant que symptôme, constitue une voie d'accès privilégiée à l'inconscient de Monsieur X. Son exploration en cure analytique offre la possibilité de déchiffrer les énigmes qu'il recèle, de symboliser progressivement les expériences traumatiques et les affects refoulés. Il s'agit d'un processus qui vise à permettre au sujet de se délier progressivement de la nécessité de ce monde intérieur secret et d'investir plus pleinement le Réel de ses relations adultes, en reconnaissant la complexité de son histoire et en intégrant les parts de lui-même restées en souffrance. Cette exploration peut également mettre en lumière d'éventuels mécanismes dissociatifs qui ont pu se mettre en place face à des expériences écrasantes.


Conclusion :


Le cas de Monsieur X. souligne la richesse clinique du concept de paracosme pour appréhender les intrications complexes entre traumatismes précoces, défauts de symbolisation et tentatives de résolution psychique à l'aune de la psychanalyse lacanienne. L'approche analytique, sensible au rythme singulier du sujet et à la nécessité de donner une place à l'expression des affects refoulés, offre un cadre pour explorer ces dynamiques et accompagner le processus de subjectivation. La cure analytique peut ainsi permettre à Monsieur X. de se défaire progressivement de la nécessité de son paracosme et de construire un rapport plus apaisé et authentique au Réel et à l'Autre, en reconnaissant l'impact des figures parentales et des événements précoces sur la structuration de son psychisme.


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