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Patrick MARTIN Psychologue Paris 9e 

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Quand le Sujet Dicte à l’Autre : Une Clinique du Gaslight à Rebours

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    Patrick MARTIN
  • il y a 6 minutes
  • 7 min de lecture

Article 2 : Quand la Subjectivité Devient Autoritaire un exemple de gaslight

L'extrait que nous présentons met en scène une tension discursive où la tentative de catégorisation du journaliste se heurte à une subjectivité qui refuse cette assignation. L'analyste, dans sa fonction, ne se positionne pas pour arbitrer la validité de l'identité de genre de l'intervenant ni pour juger la pertinence de ses propos. Son rôle serait plutôt d'observer les modalités de l'échange, les points de butée, et ce que ces interactions révèlent de la structure psychique des participants et des impasses du langage.

Face aux débats sociétaux contemporains sur le genre, souvent éloignés de la clinique, la psychanalyse, ancrée dans la singularité du sujet et la reconnaissance de la castration symbolique, se doit de rétablir une perspective rigoureuse, qui fait état des lieux, loin des pressions normatives. Cet article entend éclairer une posture clinique parfois mal comprise.


L'insistance de l'intervenant sur la primauté absolue de son identité autodéfinie, au point de nier la pertinence de l'apparence comme point de repère initial pour l'Autre, peut effectivement être interprétée comme une forme d'imposition d'une subjectivité radicale, quand le sujet est attrapé par le miroir et qu'il fait à l'Autre ce qu'il imagine qu'on lui fait. Il ne s'agit plus d'une simple expression d'une identité singulière, mais d'une injonction à l'Autre de se défaire de ses modes habituels d'appréhension du réel et de se soumettre à une lecture interne, subjective, qui pourtant nous le savons tous n'est pas immédiatement accessible.


Dans une perspective lacanienne, on pourrait y voir une sorte d'anti-Copernic subjectif. Alors que la révolution copernicienne a décentré la Terre de la position centrale de l'univers, ici, l'intervenant semble vouloir placer sa propre réalité interne au centre du champ intersubjectif, exigeant que l'Autre se réoriente complètement à partir de ce point de référence subjectif. C'est comme si la carte du monde devait être redessinée en fonction de son seul vécu intérieur.


Cette posture pose un problème fondamental pour le lien social et la communication, qui reposent sur un minimum de codes partagés et de reconnaissances mutuelles basées sur des signifiants communs, y compris ceux qui sont visuellement appréhendables. L'Autre, en l'occurrence le journaliste et potentiellement le public, est sommé de « savoir » ce qui se passe dans la tête de l'intervenant, de deviner une réalité interne qui n'est pas immédiatement manifeste, d’autant plus que visuellement il n’y a aucune piste. Parfois il est vrai que certains codes visuels peuvent nous indiquer un chemin à suivre dans l’échange avec l’Autre.



Cette exigence peut engendrer chez l'Autre un sentiment de confusion, voire de paralysie. Comment interagir si les points de repère habituels sont invalidés ? Comment établir un lien si le langage commun est subordonné à une subjectivité radicale qui refuse toute forme de catégorisation externe ?


L'analyste, face à une telle dynamique, pourrait s'interroger sur la fonction psychique de cette imposition. S'agit-il d'une tentative de se protéger d'une aliénation jugée insupportable ? D'une quête désespérée de reconnaissance d'une identité niée ? Ou d'une manière de prendre le pouvoir dans l'échange en dictant les règles de la communication ?

Cette phrase interroge les motivations profondes qui pourraient sous-tendre l'attitude de l'intervenant dans l'extrait que nous avons analysé. Elle propose deux hypothèses principales :


1. « S’agit-il d'une tentative de se protéger d'une aliénation jugée insupportable ? »

  • Aliénation : Dans le contexte lacanien, l'aliénation fait référence à la manière dont le sujet se constitue en s'inscrivant dans l'ordre symbolique, dans le langage de l'Autre. Cette inscription est nécessaire mais implique une perte, une division du sujet. L'aliénation peut devenir "insupportable" si le sujet a le sentiment que son identité propre est niée ou mal représentée par les catégories et les signifiants que l'Autre lui propose ou lui impose.

  • Se protéger : En niant la validité des catégories de l'Autre, il cherche à affirmer une identité qui lui est propre et qui n'est pas réductible aux cadres sociaux existants.


2. « D'une quête désespérée de reconnaissance d'une identité niée ? »

  • Reconnaissance : Le besoin de reconnaissance par l'Autre est fondamental dans la construction subjective. Être nommé, être vu et être validé dans son identité est essentiel pour le sujet.

  • Identité niée : Si l'identité profonde d'une personne (ici, son identité de genre non binaire) est ignorée, invalidée ou réduite à des catégories qui ne lui correspondent pas, cela peut engendrer une souffrance importante et un sentiment de non-existence psychique (on se rapproche de la psychose, déni de la réalité et angoisse de morcellement).

  • Quête désespérée : L'intensité de la réaction de l'intervenant, son agressivité et son refus de toute concession sur la manière dont il souhaite être identifié, pourrait traduire une quête intense et urgente de cette reconnaissance. Son attitude pourrait être une tentative, maladroite peut-être, de forcer l'Autre à reconnaître la validité de son identité niée par les catégories habituelles.


En résumé, cette phrase propose que l'attitude de l'intervenant puisse être motivée soit par un besoin de se défendre contre une aliénation ressentie comme une atteinte à son être, soit par une demande pressante et douloureuse de reconnaissance de son identité par l'Autre. Ces deux motivations ne sont d'ailleurs pas mutuellement exclusives et pourraient coexister.

En tout état de cause, cette imposition d'une subjectivité radicale, en niant la pertinence de l'appréhension du monde par l'Autre, met en lumière une tension essentielle entre la singularité du vécu subjectif et la nécessité de codes partagés pour l'établissement du lien social. Elle soulève la question de la limite entre l'affirmation légitime d'une identité et le risque d'une inintelligibilité mutuelle.


Se faire entendre sans exiger


En effet, une approche différente de la part de l'intervenant aurait pu favoriser un échange plus constructif. Plutôt que de décrédibiliser la perception du journaliste, une démarche explicative et partageant son vécu subjectif aurait pu créer un pont, en s'appuyant sur la fonction même du langage comme outil de lien entre des subjectivités distinctes.

Si l'on ne reconnaît pas l'Autre comme fondamentalement distinct de soi, avec ses propres modes d'appréhension du réel, ses propres codes et son propre bagage symbolique, on risque de tomber dans un solipsisme où sa propre vérité subjective est érigée en vérité universelle, s'attendant à ce que l'Autre la partage comme une évidence (c’est en partie ce qu’est l’égocentrisme).


Dans cette perspective, l'attaque frontale contre la validité des sens de l'Autre court-circuite la possibilité d'un dialogue. Nos sens, bien que parfois trompeurs, sont notre point de départ commun pour appréhender le monde. Le langage, ensuite, permet de nuancer, de préciser, de partager des expériences subjectives qui dépassent la simple perception visuelle. Mais si la base perceptive commune est niée, le langage peine à construire ce pont nécessaire à la compréhension mutuelle.


L'attente implicite que l'Autre devrait « savoir » ce que l'on sait soi-même, sans que cela n'ait été explicitement partagé et symbolisé dans un langage commun, relève d'une méconnaissance de la structure intersubjective. L'Autre est un autre sujet, avec sa propre intériorité et sa propre histoire. La reconnaissance de cette altérité est une condition nécessaire à l'établissement d'un lien véritable, où le langage peut jouer pleinement son rôle de médiateur entre des mondes subjectifs distincts.

 



FAQ sur le Gaslight

En quoi ce type d’échange relève-t-il du gaslighting ?

Réponse :Parce que l’intervenant place le journaliste dans une position d’erreur, en lui disant que sa perception est invalide. C’est une manière de déstabiliser son cadre de réalité, typique du gaslighting.

Quelle est la différence entre affirmer son identité et l’imposer ?

Pourquoi parler de subjectivité radicale ?

Que dit la psychanalyse de cette position ?

Quelle autre posture aurait permis un échange plus fécond ?




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