Le Shrekking : acte conscient ou stratégie inconsciente ? Lecture psychanalytique
- Patrick MARTIN
- 15 oct.
- 3 min de lecture
Question : Ce qui m’interpelle c’est que ça serait une attitude consciente ? Et si cette attitude est consciente qu’est-ce que cela dit de la structure du sujet qui a de tel pratique ?
Réponse : Excellente question. Le fait que le « shreking » soit une attitude consciente et délibérée ne fait que renforcer l'intérêt psychanalytique et nous permet d'aborder la question de la structure du sujet par le prisme de la défense.
La Conscience : Un Leurre dans la Névrose

Pour la psychanalyse lacanienne, la conscience est, par définition, du côté du Moi et de l'Imaginaire. Elle est la surface, la partie où le sujet se raconte une histoire cohérente.
On peut renforcer le propos avec le concept de « moi » (je) vs « sujet ». Le « shreking » est une stratégie du moi (de l'imaginaire), qui croit pouvoir rationaliser et maîtriser la dialectique du désir (qui relève du sujet de l'inconscient, du symbolique). La « décision consciente » est le récit que le moi se raconte pour masquer la détermination inconsciente de l'acte.
Le Mythe de la Maîtrise : Le sujet qui s'adonne au « shreking » se dit : « Je choisis délibérément un partenaire moins attirant (selon les standards sociaux) car il sera plus gentil, et cela me protégera de la souffrance qu'inflige l'Autre qui est dit : Beau. » Cette conscience est un leurre de maîtrise. Le sujet croit pouvoir réduire la complexité du Désir et de la relation à une simple équation de cause à effet : faible attrait physique = garantie de bon traitement.
La Vraie Motivation est Inconsciente : L'acte est conscient, mais la force pulsionnelle qui le sous-tend est inconsciente. Cette force est souvent la Pulsion de Mort dirigée vers le lien : une angoisse si profonde face à la Castration Symbolique (le manque, la perte, le risque d'être trahi ou abandonné par l'objet idéal) qu'il faut prévenir le traumatisme en choisissant d'emblée un objet dévalorisé.
Le Refus de l'Autre Désirant : En sélectionnant un partenaire sur la base de son manque d'attrait (son jugement, pas son être), le sujet tente d'occulter le fait que l'Autre est lui aussi un sujet avec son propre désir. Le sujet espère s'assurer un partenaire dont le Désir serait « saturé » par l'opportunité d'être avec lui/elle, le réduisant à un objet dévoué plutôt qu'à un Sujet Libre. C'est une fuite devant la contingence et le mystère du Désir de l'Autre.
Ce que l'Attitude Dit de la Structure du Sujet
Le « shreking » est une stratégie de défense typique d'une structure névrotique, probablement hystérique ou obsessionnelle, qui tente de circonscrire le réel de l'angoisse par un acte symbolique.
1. La Question de l'Hystérie
Le « shreking » peut être une manifestation de la position hystérique :
Le Désir de l'Insatisfaction : La quête hystérique est de maintenir le Désir comme Désir insatisfait. Choisir un partenaire qui n'est pas pleinement désirable (physiquement) garantit que le sujet restera dans une position de manque (dans le domaine érotique). L'insatisfaction physique est un prix à payer pour se sentir désirée (dans le domaine du traitement/de l'Être).
La Jalousie de l'Autre : Le sujet hystérique veut se faire aimer d'un Maître, mais rejette le Maître une fois conquis. Le partenaire jugé « moins attirant » n'est pas un Maître socialement, donc le sujet se positionne comme celui qui accorde la relation, se donnant une jouissance de pouvoir — une jouissance qui n'est donc pas celle de l'amour.
2. La Tentative Obsessionnelle de Contrôle
Pour la névrose obsessionnelle, le « shreking » serait une tentative désespérée d'établir un contrôle total sur l'objet et le lien :
La Rationalisation : Le caractère conscient de la démarche est une puissante rationalisation obsessionnelle. « Je sais ce que je fais, donc je suis en contrôle. » C'est une tentative d'annuler le danger de l'imprévu et du coup de foudre, qui sont les vecteurs de l'angoisse.
L'Évitement de l'Angoisse du Réel : Choisir l'objet non idéal permet d'éviter l'angoisse que le Réel d'une relation avec l'objet idéal pourrait faire surgir. C'est une négation de l'impossibilité de la complétude dans la relation.

En somme, l'attitude consciente du « shreking » n'est que la pointe émergée de l'iceberg. Elle révèle une structure névrotique qui, face à la réalité de la Castration et à l'énigme du Désir de l'Autre, préfère choisir consciemment un objet défaillant (imaginaire) pour éviter inconsciemment l'angoisse du manque (symbolique). Le drame, comme nous l'avons vu, est que même l'objet « Shrek » se révèle être un Sujet dont le Désir et la jouissance sont imprévisibles.
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