Shrekking : définition, mécanismes et risques d’une tendance toxique
- Patrick MARTIN
- 13 oct.
- 3 min de lecture
article 1 : Le Shrekking — quand on « sort avec moins beau » pour espérer mieux

Le concept de « shreking », dans le contexte des rencontres modernes tel qu'il est défini, c'est-à-dire le fait de s'engager délibérément avec quelqu'un que l'on juge moins attirant physiquement dans l'espoir qu'il soit plus gentil ou vous traiterait mieux, voire pour éviter la souffrance. Il révèle de manière crue et contemporaine les mécanismes du désir et de la « castration symbolique ».
Le Désir et l'Objet a
D'un point de vue lacanien, le concept de « shreking » peut mettre en lumière une faillite du Désir et une tentative désespérée d'y échapper.
Le Grand Autre et l'Exigence Sociale : La notion même de « baisser ses standards » (notamment physiques) indique que ces standards existent et sont dictés par le Grand Autre, ici : la culture, les médias, les idéaux de beauté véhiculés par la société, que l’on peut voir tous les jours sur Instagram. L'individu se positionne initialement dans le Registre de l'Imaginaire où l'objet d'amour doit être complet, idéal et refléter une image narcissique valorisante. Comme l’autre ne manque de rien, il va nous combler surtout les plans = zéro souffrance.
L'Objet a et la Castration : Le désir lacanien est toujours le Désir de l'Autre et est fondamentalement manquant. L'objet de ce désir, l'objet petit a (l'objet cause du désir), est irrémédiablement perdu et ne peut jamais être complètement atteint. Il est ce qui fait une béance dans le sujet. Le « shreking » représente une tentative « pathétique » de contourner la castration — l'acceptation du manque et de l'incomplétude inhérente à la subjectivité.
Le sujet pense : « Si je choisis l'objet que le Grand Autre ou mon propre narcissisme juge comme imparfait « le Shrek », je maîtriserai la relation. Je serai moins en danger de rejet ou de souffrance (cette souffrance étant une rencontre avec la castration). »
C'est une recherche illusoire d'un partenaire qui serait à la fois moins menaçant pour l'ego (car moins désiré par d'autres) et qui comblerait le manque par une bonté ou une dévotion absolue.
Le Masque et la Question de l'Être

Le « shreking » révèle aussi un déplacement du signifiant du corps vers l'action ou le traitement (comme traitement contre la souffrance psychologique).
De l'Image au Traitement (Le Symptôme) : Le sujet ne désire pas l'autre pour son Être (ce qui est toujours une énigme) ni pour son image dans ce cas, mais pour une promesse de soin ou de gentillesse : un faire. C'est une tentative de symptomatiser la relation en réduisant l'Autre à un objet fonctionnel, un pourvoyeur de bon traitement, la métaphore de l’infirmière, plutôt qu'à un sujet de désir.
L'Échec du Poids : Comme les récits le montrent, cette stratégie échoue souvent (se faire « shrekker »). Pourquoi ? Parce que le sujet en face, même jugé « moins attirant », est lui aussi un sujet désirant avec son propre manque et ses propres névroses. Réduire l'autre à un simple « gentil » ne garantit pas que son Désir propre n’éclatera pas ailleurs, ou ne se manifestera pas sous une forme inattendue et destructrice, car le Vrai de son désir a été nié dès le départ.
En conclusion, le « shreking » est une défense contre l'angoisse du Désir. Le sujet croit pouvoir établir une relation sécurisée en manipulant l'économie du désir selon l'attractivité perçue. Or, le Désir, tel un ogre, finit toujours par faire irruption, révélant que l'Autre, même « Shrek », n'est jamais le partenaire idéal que l'on espérait, car l'idéal est un leurre qui masque la béance fondamentale.

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