La Psychanalyse est-elle une Secte ? Décryptage Lacanien d'une Question Explosive
- Patrick MARTIN
- il y a 18 heures
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Introduction : Le Stigmate de la Secte – Pourquoi la Psychanalyse est-elle Visée ?

Dans l'imaginaire collectif, certains courants de pensée, certaines pratiques thérapeutiques, sont parfois rapidement étiquetées comme "sectes". Ce mot, chargé d'une connotation négative, évoque l'emprise, la manipulation, le dogmatisme et l'isolement. La psychanalyse, et plus particulièrement la psychanalyse lacanienne, n'échappe pas toujours à cette accusation.
Pourquoi cette persistance de l'amalgame ? Est-ce fondé ? En tant que blogger passionné par l'œuvre de Jacques Lacan et psychologue, je vous invite à explorer ensemble cette question complexe, loin des raccourcis hâtifs.
Nous allons décortiquer les arguments souvent avancés pour qualifier la psychanalyse de secte, puis les confronter à la réalité de sa pratique et de sa théorie, à travers le prisme lacanien. L'objectif ? Démontrer que la psychanalyse, loin d'être un endoctrinement, est un chemin vers l'autonomie et la singularité donc tout l'inverse.
Accusations Fréquentes : Des Éléments à Examiner avec Lucidité
Avant de plonger dans le vif du sujet, listons les principaux griefs souvent adressés à la psychanalyse lorsqu'elle est comparée à une secte :
Le Culte du Leader Charismatique : Freud, puis Lacan, sont parfois perçus comme des figures quasi-messianiques, dont les théories seraient suivies aveuglément.
L'Obscurité du Langage et de la Théorie : Le jargon psychanalytique, et lacanien en particulier, est souvent jugé hermétique, créant une forme d'entre-soi inaccessible aux profanes.
La Dépendance Thérapeutique et Financière : La longueur des cures, le coût des séances, et la relation asymétrique entre l'analyste et l'analysant sont parfois interprétés comme des formes d'assujettissement.
L'Endoctrinement et la Pensée Unique : L'idée que les analystes adhèrent sans critique à un dogme, rejetant toute autre approche, est une accusation récurrente.
L'Isolement Social : La crainte que la psychanalyse ne pousse les individus à se couper de leur entourage pour se consacrer uniquement à leur cure.
Le Manque de Validation Scientifique : L'absence de preuves empiriques "à la mode scientifique" est souvent brandie pour discréditer la psychanalyse, la reléguant au rang de croyance.
Chacun de ces points mérite une analyse approfondie, car la réalité est souvent plus nuancée que les caricatures.
La Réponse Lacanienne : Au-delà des Apparences
Comment la psychanalyse lacanienne répond-elle à ces accusations ? Reprenons point par point, en nous appuyant sur les fondements mêmes de cette approche.
L'Analyste, un Gourou ? L'Exact Contraire !
Certes, Jacques Lacan a été une figure intellectuelle et clinique de premier plan, dont l'influence est indéniable. Cependant, réduire son enseignement à un "culte" est une méprise fondamentale, pire Lacan etait l'inverse d'un Gourou a vous envoyer sur les roses plutot que vous séduire, a vouloir vous sortir de son cabinet plutot que vous faire revenir.
Le Retour à Freud, Pas l'Adoration : Lacan lui-même ne cesse de répéter qu'il s'agit d'un "retour à Freud", non pas pour le sacraliser, mais pour relire son œuvre à la lumière de la linguistique, de la logique et de la topologie. Son travail est une critique et un réaménagement de concepts freudiens, pas une simple répétition.
Contre le Discours du Maître : Au cœur de la théorie lacanienne se trouve la notion des "quatre discours" (Maître, Universitaire, Hystérique, Analyste). Le discours de l'Analyste est précisément celui qui subvertit le discours du Maître. L'analyste, loin d'être un maître omniscient, est une fonction qui vise à mettre le sujet au travail sur son propre désir, à le faire parler de sa vérité subjective, et non à lui imposer une vérité toute faite. L'analyste se positionne en tant que "semblant d'objet a" (l'objet cause du désir, non ce qu'on peut posséder), non comme un sujet supposé savoir tout et tout donner. Il est l'inverse du coach.
La Subversion et la Singularité : L'enseignement de Lacan n'a jamais visé à créer des clones intellectuels. Au contraire, il a toujours encouragé la singularité, la subversion de la pensée dominante, et une lecture critique de ses propres séminaires. La "passe" lacanienne, un dispositif pour la fin de l'analyse, vise précisément à rendre compte de la singularité de la sortie de l'analyse, et non à un endoctrinement. C'est le moment où l'analysant témoigne de ce qu'a été sa traversée et de la manière dont il a pu se séparer de l'analyste. Et même ça, Lacan lui même a invité a l'abandonner.
Le Jargon : Un Mur ou un Outil ?
Le langage lacanien est réputé difficile, c'est un fait. Mais est-ce intentionnel pour exclure, ou est-ce une nécessité structurelle ?
Le Langage comme Matériau de l'Inconscient : Pour Lacan, l'inconscient est structuré comme un langage. Travailler avec l'inconscient, c'est travailler avec le langage lui-même, ses équivoques, ses lapsus, ses métaphores. Le langage psychanalytique cherche à être à la hauteur de cette complexité, à ne pas la réduire à des simplifications trompeuses.
Contre la Psychologie du Sens Commun : Lacan a toujours critiqué la psychologie de l'ego et du sens commun, qui tend à aplatir la complexité du sujet humain. Pour aborder des concepts comme le Réel, le Symbolique, l'Imaginaire (les trois registres de l'expérience humaine selon Lacan), l'objet a (ce reste de l'objet du désir qui est inatteignable), le grand Autre (le lieu du langage et de la loi), il est nécessaire de développer un vocabulaire précis, qui rompt avec les évidences du langage courant. Et donc il faut se mettre au boulot, l'hermétisme n'est que pour celui qui ne veut pas se mettre au travail, ici il ne pourra pas faire semblant.
L'Effet de Sens et le Travail du Sujet : L'hermétisme apparent du langage lacanien n'est pas un obstacle en soi, mais peut devenir un levier. Confronté à un discours qui ne lui livre pas son sens immédiatement, l'auditeur est mis au travail, invité à chercher, à interroger, à construire son propre sens. Ce n'est pas de l'obscurantisme, mais une invitation à une activité intellectuelle et subjective. Imaginez un musicien qui apprend le solfège : c'est complexe au début, mais indispensable pour maîtriser son art.
Payer son Analyse : Un Acte d'Aliénation ? Bien au Contraire !
C'est l'une des accusations les plus sensibles.
La Durée de la Cure et la Résolution du Transfert : Oui, une psychanalyse est un processus long. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit de dénouer des nœuds psychiques profonds, formés sur des années. Il ne s'agit pas d'un simple "conseil" ou d'une résolution symptomatique rapide. La fin d'une analyse (la "passe" lacanienne en particulier) n'est pas une dépendance perpétuelle, mais bien la résolution de ce qui faisait entrave au désir singulier du sujet, et donc, la dissolution du transfert (cette relation émotionnelle et affective inconsciente envers l'analyste, essentielle au travail analytique) en tant que lien aliénant. Le but n'est pas la dépendance, mais l'autonomie subjective. Avec Lacan l'analyse a une fin, et mieux elle doit se terminer point barre. Par de discussion un travail qui doit se mener a terme et ce terme amène a une séparation.
La Question de l'Argent : Le paiement des séances est un acte symbolique essentiel en psychanalyse. Il marque l'engagement du sujet dans son travail, la reconnaissance de la valeur de l'heure et de la parole de l'analyste, et la distinction fondamentale entre une cure et une relation amicale ou charitable. Le refus du paiement est le plus souvent signe d'une résistance à la cure elle-même due au transfert (je veux que maman continue de m'aimer de manière inconditionnelle). Les honoraires sont fixés d'un commun accord et sont souvent adaptés aux ressources du patient, loin de l'idée d'une spoliation. De plus, il n'y a pas de "biens" à céder à l'institution ou à l'analyste, ce qui est une caractéristique des sectes.
La Position de l'Analyste : L'analyste, loin d'être un gourou qui dicte la conduite, se tient à distance, écoute et ponctue. Son silence, ses interventions rares et énigmatiques, visent à faire émerger la parole du sujet, et non à l'orienter. L'éthique analytique est une éthique du désir du sujet, et non une éthique de la moralisation ou de la directive. L'analyste se garde bien de donner des conseils ou des injonctions, ce qui est une différence majeure avec les pratiques sectaires.

Endoctrinement : Le Pluralisme en Action !
L'idée d'une "pensée unique" est en contradiction avec la vitalité du champ psychanalytique lui-même.
Une Pluralité d'Écoles et de Courants : Si la psychanalyse est issue de Freud, elle a donné naissance à une multitude de courants : lacaniens, kleiniens, annafreudiens, junguiens, etc. Même au sein du mouvement lacanien, il existe différentes écoles et associations, signe d'une effervescence intellectuelle et de débats constants, et non d'une pensée monolithique.
La Critique Interne : L'histoire de la psychanalyse est jalonnée de scissions et de remises en question, y compris au sein de l'œuvre de Lacan. Cette capacité à l'auto-critique et à la division est le signe d'une vie intellectuelle active, et non d'un dogme figé.
L'Impossibilité de l'Adhésion Aveugle : Pour être analyste, il faut avoir traversé sa propre analyse, un processus où la singularité du sujet est mise au premier plan. On ne "croit" pas à la psychanalyse, on en fait l'expérience et on travaille ses concepts. On ne devient pas analyste par adhésion idéologique, mais par un long et exigeant parcours personnel et théorique.
Isolement Social ? Bien au Contraire, une Réinsertion !
L'accusation d'isolement est souvent infondée.
La Psychanalyse comme Liens : Loin de couper le sujet du monde, la psychanalyse vise à le réinsérer dans son lien social et symbolique. En dénouant les impasses, les symptômes et les inhibitions, elle permet au sujet de retrouver une place plus juste dans ses relations, son travail, sa vie. Pour les lacaniens le langage est au centre de la vie, il est ce qui nous permet d'être en lien.
Le Rapport au Politique et au Social : La psychanalyse, et la pensée lacanienne en particulier, a toujours eu une forte résonance avec les questions politiques, sociales et culturelles. Les psychanalystes sont souvent engagés dans des débats de société, loin de tout repli communautaire. Selon moi, Lacan lui-même, par ses séminaires ouverts au public et ses interventions, a toujours cherché à confronter la psychanalyse au monde extérieur.
Pas "Scientifique" ? Une Autre Forme de Rigueur !
C'est là que le malentendu est le plus profond.
Une Science du Sujet, Pas des Faits Objectifs : La psychanalyse ne prétend pas être une science au sens des sciences dites "dures" ou "expérimentales", qui cherchent à établir des lois universelles et mesurables. La psychanalyse est une "science du sujet", une exploration de l'inconscient, du désir et de la jouissance, qui relèvent de l'intime et du singulier, difficilement quantifiables puisque unique.
La Clinique comme Preuve : La validation de la psychanalyse ne se trouve pas dans des études statistiques à grande échelle, mais dans la clinique, dans la transformation subjective et la levée des symptômes que l'analysant expérimente au cours de sa cure. La "preuve" est subjective et opératoire.
La Rationalité de l'Inconscient : L'inconscient lacanien n'est pas une entité mystique, mais une structure logique, gouvernée par des lois (comme celles du langage). La psychanalyse n'est pas une croyance, mais une méthode d'investigation et d'intervention qui s'appuie sur une rationalité propre, même si elle diffère de la rationalité positiviste.
Les Vraies Différences entre Psychanalyse et Secte : Un Éclairage Essentiel
Pour dissiper définitivement l'amalgame, voici les points cruciaux qui distinguent radicalement la psychanalyse d'une secte :
L'Objectif : La psychanalyse vise l'autonomie subjective, la capacité à penser par soi-même, à assumer son désir et sa division. Une secte vise l'aliénation du sujet à un gourou, une idéologie, un groupe.
La Révélation vs. la Construction : Une secte propose une "vérité révélée", un dogme à suivre. La psychanalyse aide le sujet à construire sa propre vérité, à déchiffrer son inconscient, sans lui imposer de sens préétabli.
L'Ouverture vs. la Fermeture : La psychanalyse est ouverte au monde, au débat, à la critique, et s'articule avec d'autres champs de savoir (philosophie, art, sciences humaines). Les sectes se ferment sur elles-mêmes, isolent leurs membres, rejettent toute critique extérieure.
La Question de l'Argent : En psychanalyse, l'argent est symbolique et transactionnel pour la prestation. Dans une secte, l'argent est souvent une spoliation, une exigence de "don" total qui conduit à l'appauvrissement.
La Dépendance : La relation analytique vise à sa propre fin, à la dissolution du transfert et à l'autonomie du sujet. La secte cherche à créer une dépendance perpétuelle et absolue.
La Transparence : Bien que le processus analytique soit intime, la théorie et la formation en psychanalyse sont publiques, débattues, et accessibles. Les sectes opèrent souvent dans le secret et l'opacité.
Vigilance : La Nécessaire Distinction
Il est important de souligner que la vigilance contre les dérives sectaires est tout à fait légitime. Comme dans tout domaine, des individus mal intentionnés ou des pratiques pseudo-thérapeutiques peuvent exister. Cependant, il faut clairement distinguer ces cas isolés de la psychanalyse institutionnelle et éthique, encadrée par des associations professionnelles (telles que la Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse - FF2P, ou l'Association Lacanienne Internationale - ALI, entre autres, encore l'école de la cause Freudienne - ECF), qui veillent au respect d'une déontologie stricte. Un psychanalyste digne de ce nom adhère à un code éthique et est lui-même engagé dans une formation continue et une supervision.
Conclusion : La Psychanalyse, une Éthique du Désir et de la Singularité
Alors, la psychanalyse est-elle une secte ? La réponse est un non catégorique. Les accusations relèvent le plus souvent d'une méconnaissance profonde de ses principes, de ses objectifs et de son éthique.
La psychanalyse, et la psychanalyse lacanienne en particulier, est une pratique exigeante, qui s'adresse au sujet dans sa singularité la plus intime. Elle n'offre pas de recettes toutes faites, pas de bonheur clé en main, pas de vérité révélée. Elle propose un chemin, parfois long et inconfortable, pour que le sujet puisse se confronter à son inconscient, à ses impasses, et in fine, à son propre désir.
Plutôt qu'une secte, la psychanalyse est une expérience de subversion : subversion des certitudes, subversion du discours du Maître, subversion de l'imaginaire. Elle est une éthique du désir qui pousse l'individu non pas à se soumettre, mais à s'émanciper, à devenir l'auteur de sa propre existence, en dépit des aliénations.
Dans un monde où les solutions rapides et les gourous pullulent, la psychanalyse se distingue par sa radicalité et son respect profond de la liberté subjective. Elle n'est pas une croyance, mais un savoir à construire, une expérience à vivre, et une invitation à penser par soi-même. Et c'est précisément ce qui la rend si précieuse, et si éloignée de toute dérive sectaire.
L'essentiel en 3 points :
Non, la psychanalyse n'est pas une secte. Elle vise l'autonomie du sujet, non son assujettissement.
L'analyste n'est pas un gourou. Son rôle est d'accompagner le sujet dans la découverte de sa propre vérité, pas de lui imposer une idéologie.
Le langage et la durée des cures sont des outils, pas des pièges. Ils sont nécessaires pour explorer la complexité de l'inconscient et permettre une transformation profonde.
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