La Jouissance de l’Autre : Ce “Kiff” Qui Nous Travaille Sans Qu’on Comprenne Pourquoi
- Patrick MARTIN
- il y a 1 jour
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Imaginez un enfant tout petit avec sa maman. Pour lui, au début de sa vie, sa maman est une figure enveloppante, une source de satisfaction de tous ses besoins primaires. Elle le nourrit, le réconforte, elle est son point d'ancrage pour le bien-être. Dans ce rapport initial, on pourrait dire qu'elle exerce une forme de "puissance", une capacité à le combler et à le rassurer.
Cependant, au fur et à mesure de sa croissance, l'enfant perçoit que sa maman n'est pas uniquement dédiée à sa satisfaction. Elle manifeste des désirs propres, des besoins qui lui sont spécifiques, des activités qui lui procurent du plaisir et qui ne concernent pas nécessairement son enfant. C'est comme s'il découvrait chez elle une "zone de plaisir" singulière, un "kiff" personnel qui peut lui rester en partie mystérieux.
En psychanalyse, et particulièrement dans la pensée de Lacan, on utilise l'expression de "jouissance de l'Autre" pour désigner cette zone de plaisir énigmatique de l'autre (l'Autre avec un grand A, qui peut initialement être la maman, puis s'étendre aux autres figures importantes de notre vie, et même aux règles et aux normes de la société). C'est un peu comme si l'Autre possédait un "bouton de plaisir" secret, une source de satisfaction qui ne nous est pas entièrement accessible et que nous ne pouvons pas contrôler.
Ce "bouton de plaisir" de l'Autre, cette "jouissance" qui lui est propre, peut susciter chez nous un sentiment de perplexité, voire d'angoisse. Nous sommes confrontés à un mystère : qu'est-ce qui anime réellement l'Autre ? Qu'est-ce qui le satisfait profondément ? Nous pouvons alors être pris dans une quête pour déchiffrer ce désir de l'Autre, souvent dans l'espoir d'obtenir son amour, sa reconnaissance ou son approbation.

Illustrons cela par une situation simple : vous offrez un cadeau à quelqu'un, pensant lui faire plaisir, mais sa réaction n'est pas celle que vous attendiez. Son propre plaisir, sa propre "jouissance", ne coïncide pas nécessairement avec ce que vous aviez imaginé. C'est une manifestation concrète de la jouissance de l'Autre qui nous échappe en partie.
En grandissant, nous apprenons progressivement cette leçon : l'autre a sa propre intériorité, ses propres désirs et ses propres modalités de trouver du plaisir, qui ne sont pas calqués sur les nôtres. Nous découvrons également que notre propre plaisir est singulier et distinct de celui des autres.
La psychanalyse nous enseigne que cette "jouissance de l'Autre" demeure en quelque sorte une énigme fondamentale pour le sujet. Nous passons une partie de notre vie à tenter de la comprendre, à anticiper ce qui pourrait satisfaire l'Autre, souvent dans une quête de lien et d'amour. Cependant, une saisie complète de cette jouissance de l'Autre reste illusoire. C'est une dimension intrinsèquement mystérieuse de chaque être humain et des structures symboliques qui nous entourent.

Ainsi, plutôt que de nous épuiser à vouloir percer à tout prix le secret du plaisir de l'Autre, la psychanalyse nous invite à un recentrage sur notre propre désir, sur ce qui nous anime et nous procure de la satisfaction. Cela implique d'accepter que l'Autre possède sa propre "zone de kiff", son propre mode de jouissance qui ne nous appartient pas et qui restera, en partie, hors de notre portée. C'est en quelque sorte apprendre à naviguer dans le champ relationnel en reconnaissant et en respectant ce mystère de l'altérité.
A lire aussi :
FAQ – Questions fréquentes sur la jouissance
Qu’est-ce que la jouissance de l’Autre ?
Réponse :C’est une forme de plaisir propre à l’Autre, qui nous échappe. C’est le mystère du désir de l’autre personne, de ce qui la fait vibrer, en dehors de nous.
Pourquoi ce plaisir de l’Autre nous fascine-t-il tant ?
Est-ce qu’on peut vraiment comprendre ce qui fait plaisir à l’Autre ?
En quoi cela concerne ma vie quotidienne ?
Que faire de cette énigme ?
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