Il ne m’écoute pas, je n’y arrive plus : Quand l’amour échoue à nous combler
- Patrick MARTIN
- 18 juin
- 8 min de lecture
Le malentendu homme-femme : désir, demande et impuissance
Introduction

Dans la danse complexe du couple, il arrive souvent que l'on se heurte à un sentiment d'impuissance. Elle, se sent réduite à un objet, un simple réceptacle de désir masculin. Lui, se sent démuni face aux plaintes incessantes, incapable de combler une attente floue. Et si, derrière ces impasses, se cachait un miroir subtil, une impuissance partagée où les failles de l'un résonnent avec celles de l'autre ?
Note : version simplifiée une semaine après...
Le Miroir des Impuissances
Imagine une scène simple :
Elle dit : "J'ai l'impression que tu ne m'écoutes jamais quand je te parle de mes problèmes au travail. J'ai besoin de soutien, pas juste de solutions rapides." (Ici, elle exprime son impuissance à être entendue et reconnue dans son vécu émotionnel.)
Il répond : "Mais je t'écoute ! Je te donne des conseils pour que ça aille mieux. Qu'est-ce que tu attends de plus ? J'ai l'impression de ne jamais faire ce qu'il faut." (Ici, il exprime son impuissance à répondre à son attente, à la "combler" comme elle le souhaiterait.)

D'un côté, il y a cette plainte féminine, lancinante : ne pas être vue comme un sujet à part entière, avec ses propres désirs et besoins. L'impression d'être réduite à une fonction, un "vide-couille", nie son individualité et son intériorité. C'est une forme d'impuissance à exister pleinement dans le regard de l'autre.
De l'autre côté, l'homme se sent parfois noyé sous un flot de reproches, souvent les mêmes, face auxquels il se sent démuni. Il a l'impression de ne jamais faire assez, d'être incapable de rendre sa partenaire heureuse. Cette incapacité ressentie à "combler" l'autre est aussi une forme d'impuissance.
L'Écho Lointain de Lacan

Cette dynamique fait écho à l'idée de Lacan selon laquelle la femme aurait accès à un "plus de jouir" qui échappe à l'homme.
Dans la rencontre sexuelle, l'égalité n'est pas de mise dès le départ. Le désir ne se manifeste pas de la même manière, ni au même moment, pour l'un et pour l'autre.
L'érection masculine, souvent perçue comme une preuve de désir, donne à l'homme une illusion de maîtrise, de savoir quand il désire. Elle est aussi un signal visible pour la femme. Mais lorsque le corps retombe après l'éjaculation, les deux partenaires sont confrontés à une forme de "castration réelle", à la finitude du plaisir. Et c'est là que la complexité s'intensifie. L'homme peut avoir une érection et éjaculer sans pour autant avoir pleinement joui.
Pour la femme, le désir est plus insaisissable, son rythme est différent. L'homme apprend à appréhender le désir à travers sa réalisation, sa satisfaction immédiate, une logique apprise notamment avec la masturbation, socialement plus admise chez les garçons.
Le désir féminin, avec ses signaux souvent plus subtils, est parfois difficile à exprimer pour celle qui l'éprouve, et donc d'autant plus ardu à déchiffrer pour l'homme.
Quiproquos Inévitables
Il y a donc, dans la relation sexuelle (comme métaphore des autres disputes), un rapport complexe au visible et à l'invisible, au corps et à ses signaux. Une part d'imprévisible qui ne peut que générer des malentendus. La femme aspire à ce que son désir soit reconnu dans sa singularité, tandis que l'homme cherche souvent à le résoudre, à le satisfaire concrètement.
Vers une Compréhension Mutuelle ?
Prendre conscience de cette "impuissance en miroir" pourrait être un premier pas. Reconnaître que l'autre n'est pas tout-puissant, qu'il a aussi ses propres limites et ses propres blessures qui résonnent avec les nôtres. Accepter que le partenaire ne pourra jamais combler tous nos manques, car il est lui aussi confronté à une forme de "manque à être" (l'Autre barré, selon Lacan).
Et si, au lieu de chercher à combler l'impuissance de l'autre, on apprenait à reconnaître et à accepter nos propres impuissances ? Peut-être qu'en regardant nos failles communes, on pourrait construire une relation plus authentique, basée sur une reconnaissance mutuelle de nos limites.
Question ouverte pour le lecteur
Et vous, comment cette "impuissance en miroir" se manifeste-t-elle dans vos relations ?
Analyse
Ces dynamiques peuvent être décomposées à travers différents concepts psychanalytiques :
Le Phallus et la Castration : La quête de maîtrise masculine peut être interprétée comme une défense contre l'angoisse de castration, c'est-à-dire la reconnaissance du manque. L'homme cherche à affirmer sa puissance, à nier sa vulnérabilité. L'impuissance féminine, au contraire, révèle la confrontation avec le manque, avec l'absence de l'objet qui pourrait la combler.
Le Désir et la Demande : La distinction entre désir et demande est essentielle pour comprendre les malentendus entre les partenaires. La demande est adressée à l'Autre et porte sur un objet spécifique, tandis que le désir est inconscient et ne peut jamais être pleinement satisfait.
La Reconnaissance : La lutte pour la reconnaissance est au cœur de ces conflits. Chaque partenaire cherche à être reconnu dans sa souffrance, dans son désir, mais se heurte à un Autre qui semble sourd à sa demande.
Attention, c’est quand même plus complexe…
On pourrait imaginer d'autres situations :
Elle exprime un désir d'intimité et de tendresse, mais il est fatigué et préoccupé par ses soucis. Elle se sent alors comme un objet de désir ponctuel, et lui se sent incapable de répondre à son besoin émotionnel.
Il aimerait qu'elle reconnaisse ses efforts pour la maison, mais elle est plus sensible à son manque d'implication dans la discussion sur l'éducation des enfants. Il se sent alors incompris dans ses efforts, et elle se sent impuissante à le faire entendre sur un autre sujet qui lui tient à cœur.

L'idée que nous nous plaçons souvent du côté de la demande, en cherchant une satisfaction immédiate et concrète, peut être comparée à la façon dont nous exprimons nos besoins : « je veux une glace ». On demande quelque chose de précis à l'autre.
Cependant, derrière chaque demande se cache toujours un désir plus profond, qui va au-delà de l'objet demandé : « montre-moi que tu m’aimes en me donnant cette glace ».
Attention, réduire une personne à ses seules demandes serait trop simple. Nous sommes tout autant pris dans le jeu du désir, même si ce désir peut parfois sembler lié à des objets précis.
Concernant les femmes, on remarque souvent qu'elles expriment un désir qui dépasse ce qu'elles demandent. C'est un désir d'être entendue au-delà des mots, d'être reconnue dans leur singularité. Cette idée rejoint la conception de la psychanalyse lacanienne concernant le désir féminin. Pour Lacan, le désir des femmes est souvent plus énigmatique, moins facile à définir par des objets concrets, et lié à leur position particulière face à la "castration" et "l'Autre" (les autres importants dans notre vie et les règles sociales). Leur désir est moins directement lié à la possession d'objets et tend vers une reconnaissance de leur être profond.
Il est crucial de comprendre que ces positions ne sont pas fixées par la nature ou la biologie. Ce sont plutôt des façons de se situer face au désir et à ce que l'on demande aux autres, et chacun, homme ou femme, peut occuper ces différentes positions. Il n'y a pas une "essence masculine" vouée à la demande et une "essence féminine" vouée au désir au-delà de la demande.
De plus, dire que « les femmes expriment un désir qui excède toujours toute demande » pourrait être une généralisation. Si le désir, par définition, va toujours au-delà de ce qui est demandé pour tout le monde, la particularité de la position féminine réside plutôt dans la manière dont ce désir se manifeste et dans leur relation à ce "manque" symbolisé par ce que Lacan appelle "le phallus". Leur rapport au phallus est différent. Elles ne sont "pas-toute" soumises à cette logique du manque et de la possession. Une partie de leur désir échappe à cette idée de "possession". Leur désir est souvent plus tourné vers une relation profonde avec l'autre, vers le besoin d'être reconnue dans leur singularité, dans un lien qui va au-delà de ce manque symbolisé.
La lire aussi :
FAQ – Questions fréquentes sur l’impuissance et le désir dans le couple
Question 1 : Pourquoi ai-je l’impression que mon partenaire ne m’écoute jamais ?
Réponse :Parce que vous attendez une reconnaissance émotionnelle, et non une solution. L’autre pense peut-être bien faire en répondant ou en conseillant, mais ce que vous cherchez, c’est d’être entendu dans votre vécu, sans correction ni réparation.
Question 2 : Comment gérer la frustration dans le couple quand on ne se comprend plus ?
Réponse :Reconnaître que le malentendu est inévitable. Aucun partenaire ne peut combler tout le manque. La frustration devient destructrice quand elle est niée. Elle peut devenir un outil de transformation si elle est verbalisée, assumée, partagée.
Question 3 : Le désir féminin est-il vraiment plus compliqué ?
Réponse :Il est souvent plus insaisissable, moins localisé. Lacan parle d’un « plus-de-jouir » qui échappe à l’homme. Ce n’est pas qu’il est incompréhensible, mais il ne suit pas les mêmes signes ou rythmes que le désir masculin. Il s’inscrit ailleurs, dans le regard, le lien, le sens.
Question 4 : Pourquoi ai-je l’impression de ne jamais en faire assez pour mon/ma partenaire ?
Réponse :Parce que vous vous heurtez à l’impossibilité de combler l’autre. Cette impression vient souvent d’un fantasme inconscient : être celui ou celle qui sauve. Or, aimer ne signifie pas remplir l’autre, mais accepter son manque et le sien.
Question 5 : Est-ce que ce genre de malentendu touche tous les couples ?
Réponse :Oui, car le couple n’unit pas deux moitiés qui se complètent, mais deux sujets barrés, traversés par leur propre histoire, désir, langue. Ce n’est pas l’amour qui fait l’entente, c’est le travail de reconnaissance de l’Autre, dans sa différence.
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