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« Maintenant que j'ai dit ça... » et « Maintenant que je sais ça... » (version complexe)

  • Photo du rédacteur: pmartinpsy
    pmartinpsy
  • 16 avr.
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 12 heures




Plongeons-nous dans ces « Maintenant que j'ai dit ça... » et « Maintenant que je sais ça... ». Elles signalent un point de bascule, un moment où le sujet se confronte à la béance entre le dire ou le savoir, et l'agir. C'est un peu comme se retrouver au bord du précipice après avoir enfin mis des mots sur ce qui nous taraudait, ou après avoir déchiffré une énigme. Et là, le vertige : « Et maintenant, qu'est-ce qui se passe vraiment ? ».

Dans la perspective lacanienne, la première phrase, « Mais maintenant que j'ai dit ça, qu'est-ce que je fais ? », met en lumière la dimension de la parole et sa performativité. Dire, ce n'est pas neutre. L'énonciation elle-même modifie la donne. On pourrait y voir l'écho de l'acte manqué, où le dire en dévoile plus que l'intention consciente. C'est comme si le sujet, après avoir franchi le pas de la parole, se heurtait à la réalité de son désir, qui n'est pas toujours aligné sur ce qui a été dit. Il y a une tension entre le Symbolique (l'ordre du langage) et le Réel (ce qui résiste à la symbolisation).


Pour exemple :  

en master j’avais une directrice de recherche, dirons-nous pas commode, un de ses ancien doctorant vient pour nous faire une présentation sur la question des passages à l’acte, et ce met d’emblée à critiquer la psychanalyse et les actes manqués. Ce qui est drôle c’est que nous avons en face de nous un homme qui est dans une posture d’enfant soumis rouge comme une tomate, nous racontant comment il avait oublié son ordinateur portable à 2000€ sur le quai du métro. Et que vu le prix de l’ordinateur il n’aurait jamais pu l’oublier et que ce n’était absolument pas un acte manqué voulant dire qu’il n’avait pas envie de venir. C'est un condensé de résistances et de déni, un cas d'école, si je puis dire. Alors, pourquoi nous raconte-t-il ça, ce doctorant cramoisi ? À mon sens, il y a plusieurs niveaux à considérer.





La clé réside probablement dans le contexte de sa présence et de l'audience. S'il intervient devant nous, étudiants en master, et que sa position critique coïncide avec celle de notre directrice, plusieurs dynamiques se superposent.

Dans un premier temps, son récit peut être interprété comme une forme de validation implicite de la position de la directrice. En critiquant la psychanalyse, il se place du même côté qu'elle, potentiellement dans une tentative de s’accorder ses faveurs ou de renforcer un lien avec elle, en tant qu'ancien doctorant (ça je vous le confirme de manière informel). Son insistance sur le prix de l'ordinateur comme preuve de l'impossibilité d'un oubli "manqué" sert alors un argumentaire rationaliste qui s'oppose aux fondements de la pensée psychanalytique, un argumentaire vraisemblablement bien accueilli.


Cependant, sa posture « d’enfant soumis rouge comme une tomate » introduit une dissonance frappante. Ce malaise physique, cette gêne visible, trahissent peut-être une tension interne. Son corps "parle" là où ses mots nient. Quant à la question du prix de l'ordinateur, elle est intéressante. Il l'utilise comme argument massue pour nier la possibilité d'un acte manqué. "Un objet d'une telle valeur, on ne l'oublie pas par hasard !" C'est une tentative de réduire la complexité psychique à une simple logique économique. Or, l'acte manqué, tel que Lacan le conçoit, n'est pas une erreur anodine. Il est une formation de l'inconscient, une irruption de la vérité du sujet qui se manifeste à travers un lapsus, un oubli, un ratage. La valeur objective de l'objet oublié n'annule pas la dimension subjective et le sens inconscient de cet oubli. Au contraire, un objet chargé d'une forte valeur affective ou symbolique peut être précisément celui qui est le plus susceptible d'être "manqué", dans tous les sens du terme.


En somme, cette intervention maladroite en dit long sur les résistances à la psychanalyse, sur les mécanismes de défense à l'œuvre face à la reconnaissance de l'inconscient, et sur la manière dont le sujet tente de se construire une image cohérente et maîtrisée, souvent au prix d'un déni de sa propre vérité psychique. C'est un bel exemple de la tension entre le sujet supposé savoir (lui, qui nie l'acte manqué) et le savoir inconscient qui s'exprime malgré lui, à travers sa gêne et son discours défensif.


« Maintenant que je sais ça, qu'est-ce que je fais ? »


La seconde phrase , « Maintenant que je sais ça, qu'est-ce que je fais ? », touche davantage à la dimension du Savoir et de sa potentielle inertie. Le sujet peut accumuler des connaissances, des interprétations, mais la question de l'acte, du passage à l'Autre scène, demeure entière. On pourrait y déceler une butée au niveau de l'Imaginaire, cette instance où se construisent les identifications et les illusions de maîtrise. Effectivement savoir intellectuellement ne suffit pas à transformer la structure subjective. Le savoir reste parfois un voile, une tentative de domestiquer le Réel par le sens.

Selon ce que j’ai compris de Lacan, l'Imaginaire est l'ordre psychique où se construisent nos identifications et nos illusions de maîtrise. C'est le domaine du miroir, au sens propre (le stade du miroir) et au sens figuré. C'est là où nous nous reconnaissons dans l'image de l'autre, où nous formons notre "moi" à travers ces identifications (qui nous croyons être, l’image qu’on se fait de soi-même). Nous nous imaginons être un tout cohérent, maîtriser nos actions et nos pensées, si c’était le cas nous aurions aucune interrogation sur nous.





La "butée" à ce niveau signifie que le savoir intellectuel reste souvent prisonnier de ces identifications et de ces illusions. Je peux savoir intellectuellement que j'ai un certain schéma répétitif dans mes relations, par exemple, ou que ma réaction de colère est disproportionnée. Cependant, ce savoir peut se heurter à la manière dont je me suis identifié à un certain rôle (la victime, le sauveur, etc.) ou à l'illusion que j'ai le contrôle total sur mes émotions.

Le savoir reste au niveau de la représentation, de l'image que j'ai de moi-même et du monde. Il ne traverse pas nécessairement l'Imaginaire pour atteindre le Symbolique d'une manière qui engendre un changement subjectif profond. Le Symbolique, c'est l'ordre du langage, des structures inconscientes qui nous déterminent au-delà de notre conscience et de nos identifications imaginaires.


Imaginez quelqu'un qui sait qu'il a peur de l'abandon (un savoir intellectuel). Mais au niveau de l'Imaginaire, il s'est identifié à une image de personne forte et indépendante. Cette identification, cette "illusion de maîtrise" de ses émotions, fait buter la prise de conscience intellectuelle. Il aura du mal à reconnaître et à accepter sa dépendance affective, et donc à agir différemment dans ses relations. Le « qu'est-ce que je fais ? » restera bloqué tant que cette identification imaginaire rigide ne sera pas remise en question par une confrontation avec la vérité plus profonde de son désir.

Cette butée dans l'Imaginaire explique pourquoi une simple prise de conscience intellectuelle (« maintenant que je sais ça ») ne suffit pas à initier un changement réel dans l'agir (« qu'est-ce que je fais ? »). Il faut une élaboration subjective qui touche aux identifications fondamentales du sujet, qui ébranle les illusions de maîtrise pour que le savoir puisse avoir une incidence sur la structure psychique et, par conséquent, sur l'agir.

Ces deux phrases pointent vers l'angoisse, cet affect qui ne trompe pas. L'angoisse surgit précisément quand le sujet se trouve confronté à ce qui échappe au sens, à ce point où le Symbolique achoppe. Le « Qu'est-ce que je fais ? » est une tentative de conjurer cette angoisse en cherchant une béquille dans l'agir, une réponse concrète à une béance structurelle.


Pour info :




Il faut souligner le rôle du concept de « sujet supposé savoir ». Dans la cure analytique, le patient s'adresse à l'analyste en lui attribuant, au moins initialement, un savoir sur sa souffrance, sur la vérité de son inconscient. Cependant, le terme "supposé" indique bien l'incertitude fondamentale de cette attribution. L'analyste n'est pas détenteur d'un savoir universel sur le sujet, ni d'une solution préétablie à ses problèmes : ça c’est dieu.

Le silence de l'analyste n'est pas un silence de désintérêt ou d'ignorance. Au contraire, il est un silence actif, une condition nécessaire pour que le sujet puisse déployer son propre savoir inconscient. Si l'analyste répondait directement à la question "Qu'est-ce que je fais ?", il se substituerait au sujet, court-circuitant le processus d'élaboration singulier qui est au cœur de l'analyse. Il risquerait d'imposer sa propre interprétation, son propre désir, entravant ainsi l'émergence de la vérité propre au patient.


La question "Qu'est-ce que je fais ?" est une question qui adresse le sujet à sa propre responsabilité, à son propre désir. L'analyste, en gardant le silence à cet endroit, renvoie le sujet à cette question fondamentale, l'invitant à trouver ses propres réponses, à inventer sa propre voie/voix. Le silence analytique ouvre un espace où le sujet est mis au défi de se déprendre de l'attente d'une réponse extérieure et de se confronter à la béance entre le savoir (ou le dire) et l'acte des autres : parents , amis...

Ainsi, au lieu de fournir une réponse, le psychanalyste accompagne le sujet dans l'exploration de cette question, en l'aidant à déchiffrer les enjeux inconscients qui la sous-tendent. Il ne s'agit pas de dire ce qu'il faut faire, mais plutôt d'aider le sujet à comprendre pourquoi cette question se pose avec une telle acuité, et quelles sont les résistances qui l'empêchent de trouver ses propres réponses.


Bibliographie :

1.     Jean-Pierre Cléro, « dictionnaire Lacan », Ellipses, 2008, p.137-138

2.     Serge Cottet, « je pense où je ne suis pas, je suis où je ne pense pas », bordas, 1987, p.13-29

3.     FREUD, S. (1925). « La négation », dans Résultats, idées, problèmes II, Paris, PUF, 1998.

4.     Joel Dor, « introduction à la lecture de Lacan », DENOEL, 2002, p.17

5.     Jacques Lacan, Écrits, Paris, Seuil, 1966 :

a.     « Au-delà du « principe de réalité »

b.     « le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je » [1949]

c.     « la chose freudienne ou le Sens du retour à Freud en psychanalyse » [1955]

6.     Jacques Lacan, Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.333-334

7.  Jacques Lacan, Le séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, (1964), texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris : Seuil, 1973.

 

 

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